[FB] Une bonne cause est toujours menée de front par des gens biens (ft Ingrid)

UNE BONNE CAUSE EST TOUJOURS MENÉE DE FRONT

✣ Claire Dearing & Ingrid Powell ✣

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Les rayons du soleil filtraient au-travers des stores, inondant la pièce de timides reflets éphémères. Instinctivement, je portais la tasse jusque mes lèvres bien que le reste de café qui gisait au fond avait refroidi depuis bien longtemps. Mais ceci ne me perturba aucunement, j'en avais l'habitude. L’œil absent, je fixait sans vraiment la voir, la file presque continue de véhicules qui circulaient en contrebas. Un taxi jaune -typiquement New-Yorkais- klaxonna, me sortant de ma torpeur. Parcourue d'un frisson, je quittais les larges fenêtres pour retourner au centre de la pièce. Là où les données chargeaient encore dans le pc qui était installé sur la lourde table en bois de la pièce à vivre. Particulièrement raide, je m'installais en plissant les yeux et posais le mug sur la première page du Times quotidien. Le menton dans les mains, je soupirais de lassitude.

Voilà maintenant un peu plus d'un an que j'étais rentrée sur le continent, et pourtant j'avais la désagréable sensation de n'avoir quitté Isla Nublar que très récemment. Les stigmates de ce séjour ne se dissipaient guère, en dépit de tous mes efforts pour effacer leurs empreintes de mon corps et de mon cœur. La plus douloureuse arborait les traits fins et candides d'un visage savamment caché par une chevelure indocile et deux grands yeux rieurs. Fermant les yeux un instant, je secouais la tête pour chasser l'image de l'adolescente brusquement perdue qui s'imposait à moi. Et quand mes pensées n'étaient pas tournées vers elle, d'autres fantômes assuraient le relais bien volontiers. On m'avait pourtant assuré que le temps guérissait les blessures telles que celles-ci mais force était de constater que ce n'était pas le cas. Mensonge destiné à m'apaiser, sans aucun doute.
Si j'étais revenue épuisée et vaincue, d'autres changement -plus visibles- étaient à déplorer. Des quelques cheveux d'argent qui s'étaient discrètement logés à la base de mes tempes en toute impunité jusqu'à la silhouette amenuisée et malingre dans ces tenues devenues trop amples pour moi. Jurassic World avait, causé bon nombre de dégâts, et à bien des égards.
Evidemment, j'avais entendu parler de ce nouveau projet, la DPG. Un substitut directement issu des idées de Claire Dearing, qui s'était vue remerciée de son propre parc. Cette dernière n'avait d'ailleurs pas gaspillé son temps, et s'était empressée de reprendre le contact que nous avions perdu en me proposant de reprendre mon poste à la tête du service sécurité..mais cette fois, sur cette nouvelle île préhistorique. Mon refus était tout net et définitif et rien de ce qu'elle pourrait dire pour argumenter ne saurait me faire changer d'avis. Je ne suis pas de ces femmes qui reproduisent deux fois la même erreur, surtout celles qui leur ont tant coûté. Depuis ce jour, elle avait fréquemment essayé de me faire entendre raison, sans y parvenir. Tant et si bien que désormais, je ne décrochais même plus, lassée de devoir me justifier sur ma décision qui restait résolument la même. Cette tactique semblait fonctionner car peu à peu, Dearing avait cessé ses tentatives et j'avais pu retrouver un semblant de tranquillité.

Car c'était-là tout ce dont j'avais besoin désormais : de la tranquillité. Pour quelqu'un ayant tant donné, j'estimais que ce n'était que le juste retour des choses sinon un droit que j'avais acquis. Je me levais pour me verser une nouvelle tasse de café, bien chaude cette fois. Puis, je resserrais mon pull qui tombait aux épaules autour de moi avant de reprendre mon travail là où je l'avais laissé, le temps que le transfert de données se complète tout à fait. Les sourcils froncés, je pianotais allègrement tandis que les caractères s'alignaient les uns derrière les autres sur l'écran. Rien de bien fascinant lorsque l'on avait connu des frasques des missions en pleine forêt, des courses effrénées dans les chemins poussiéreux et les plongées périlleuses face au plus grand mammifère marin que la Terre eût jamais porté. Mais j'avais enterré ces épisodes, tout ceci appartenait maintenant au passé. En effet, dès que mon installation fut effective, mon premier geste a été de ranger mes effets de service, mon badge, et mon arme dans le tiroir de la commode sans qu'il n'y soient plus délogés. Dans l'ensemble, tout ces vestiges trouvèrent leur place ou alors je m'en séparais méthodiquement. Subsistaient uniquement quelques cartons que je n'avais pas encore eu la force d'ouvrir et qui pour la plupart, contenaient les affaires que Mary n'avait pu emporter avec elle lors de son départ forcé. A y bien penser, je n'étais même pas obligée de m'y atteler car je m'étais habituée à les voir là, dans un coin de ma chambre...

Trois coups brefs furent frappés contre ma porte et je cessais ma rédaction. Un rapide coup d’œil sur l'horloge murale face à moi m'indiqua les neuf heures et quart. Une visite bien matinale, et qui évidemment, n'était nullement convenue. Tirant la chaise derrière moi, je traversais la pièce pour aller ouvrir. La poignée dans la main, je découvris le visage tendu de Claire Dearing qui se tenait nerveusement sur mon palier. Impassible, je la dévisageais quelques secondes sans mot dire, comprenant presque instantanément la raison de sa visite à l'improviste. Le sourcil arqué et sans l'esquisse d'un sourire, je la saluais : ❝ Claire. Quelle bonne surprise.❞ articulais-je en continuant de la détailler. Je m'effaçais pour la faire entrer dans mes appartements qui sans surprise, étaient un modèle de netteté et de transparence. Certaines choses ne changeraient jamais et celle-ci en faisait partie bien que je ne me considérais pas comme d'une maniaquerie maladive. Je savais pertinemment quelle était la raison de sa visite inopinée, ce qui ne m'empêchais pas de glisser d'un ton terne : ❝ J'ignorais que vous étiez de passage en ville...❞ fis-je en désignant le salon d'un geste de la main pour qu'elle s'y installe plus confortablement. Je la regardais d'un air soupçonneux, constatant qu'à l'inverse de moi, elle n'avait guère changé durant ces années.

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Si mon absence de bienveillance l'avait troublé, elle n'en avait rien laissé paraître et elle s'était contenté d'afficher un timide sourire sur le pas de ma porte. D'ailleurs, Claire me répondit tout aussi simplement ce qui, je le pense, en disait long sur l'objet de sa visite. Elle ne s'était pas dérobée lorsque je l'avais détaillé des pieds à la tête et à l'inverse, les petit changements qu'elle avait sans doute remarqué sur moi la laissèrent de marbre. Ces quelques secondes de flottement passées, je la laissais entrer sans un mot de plus.
Elle avait revêtu un ensemble clair et strict qui contrastait avec l'image que j'avais gardé d'elle sur le parc. Devenue femme d'affaires, peut-être avait-elle quelques actions à concrétiser à la capitale ? Ou peut-être que c'était moi, son affaire à concrétiser. Espérait-elle m'acheter comme toutes les parcelles de terrain récemment acquises sur Isla Sorna ? Je n'étais pas née de la dernière pluie, je connaissais toutes ces stratégies pour prédisposer le client. J'avais eu une vie, avant Jurassic World et celle-ci m'avait appris bon nombre de ces principes stratagèmes. Qu'importe, je ne comptais pas la renvoyer pour autant. Je savais que pour lui faire entendre raison une bonne fois pour toute, il faudrait en passer par là et procéder à cet entretien informel...

Claire balaya la pièce du regard, mais je ne m'en offusquais pas. Je ne le faisais jamais car il faut bien dire que je n'avais jamais eu à rougir de quoique ce soit concernant la présentation de mon intérieur. Tout y était, comme à l'accoutumée, soit rangé par couleurs, par taille ou classé par catégories. N'ayant jamais supporté le désordre, il fallait que tout soit irréprochable pour que je me sente à l'aise. Et c'était le cas présentement. Elle s'installa dans le fauteuil d'angle que je lui désignais non sans m'adresser un nouveau sourire qui se voulait encourageant. Je lui avais fait une remarque détournée sur le fait que je n'étais pas au fait de sa venue, à laquelle elle me répondit sur le ton de l'humour sans se formaliser. Ce qui m'arracha l'ombre d'un rictus car en effet, c'est exactement le genre de comportement que j'aurai adopté si elle m'avait prévenu de sa venue à l'avance. Non pas que je n'appréciais pas Claire, nous avons toujours eu de bons rapports l'une envers l'autre mais pour échapper à cette discussion qui s'annonçait tendue, je n'aurai sans doute pas hésité à m’éclipser un petit moment, comme elle le disait si bien. Je n'étais habituellement pas du genre à fuir les problèmes, mais puisque celui-ci était persistant et que la solution que j'avais donné par téléphone à l'ancienne directrice du parc n'avait pas été prise en considération, il fallait parfois songer à innover.  

Toujours debout mais les mains posées sur le siège qui lui faisait face, j'attendis qu'elle entame la conversation. Nouveau silence, uniquement perturbé par la circulation au-dehors. ❝ Et puis j'avais envie de voir un peu la nouvelle vie que tu mènes ! C'est sympa ici !❞ me complimenta-t-elle en jetant un dernier regard circulaire au salon, que je suivis par habitude. J'eus alors un drôle de mouvement, à cheval entre l'approbation et le haussement d'épaules. ❝ Oui, c'est possible...❞ répondis-je avec prudence, sans savoir s'il s'agissait d'un avis sincère ou si c'était-là une tentative pour briser la glace après ces deux dernières années. Il faut dire que mon empreinte ici était moindre, je m'étais contentée d'entreposer l'ensemble de mes affaires, sans spécialement rechercher le faste auquel j'avais eu droit sur Jurassic World. Bien que très épuré, l'appartement était chaleureux, à mi-chemin entre l'industriel et le classique. Rendu lumineux par les larges baies vitrées qui donnaient sur le pont de Brooklyn, il était pourtant plus modeste que le duplex que je possédais dans le Qeens même s'il restait tout de même  agencé de manière fonctionnelle. Il était très étrange de la voir ainsi installé au beau milieu du salon, mais pour autant elle restait mon invitée -bien qu'involontaire- et en aucune façon, j'oubliais mes responsabilités en tant qu'hôte. ❝ Souhaitez-vous boire quelque chose, Claire ?❞ proposais-je sobrement pour tenter de dissiper cette atmosphère pesante qui envahissait les lieux.
Sans attendre sa réponse, je me détournais et alla chercher ma propre tasse de café que j'avais laissé pleine à côté de mon pc. Mes doigts se refermèrent sur la anse et pourtant, je gardais le dos tourné à mon invitée, ainsi appuyée contre la table de bois. Je soupirais discrètement et dis en baissant les yeux, remuant à peine les lèvres : ❝ Je sais pourquoi vous êtes là.❞ Dearing me connaissait depuis assez longtemps pour savoir que j'étais une femme somme toute assez directe et que je n'appréciais pas tourner autour du pot quand cela s'avérait inutile. J'avais donc choisi de prendre les devants aujourd'hui, pour lui faire gagner un peu de son temps qui assurément, devait être des plus précieux. Et puis, j'avais senti que potentiellement, la conservation pouvait embrayer sur moi. Sur ma vie ici. Ce que je ne souhaitais aucunement. Je pivotais alors pour planter mon regard dans le sien, navrée. ❝ Et il faut que vous sachiez que, depuis notre dernier échange, ma réponse est restée la même ...❞ Elle l'avait sans doute déjà compris, mais je me devais d'être transparente avec elle sur ce point, afin de ne pas lui donner de faux-espoirs en l'accueillant ainsi chez moi. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec ces histoires de dinosaures, il était grand temps pour moi de passer la main. A quelqu'un de plus jeune, de moins fatigué et de plus disposé peut-être...

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Alors que je lui annonçais mon nouveau refus d'intégrer sa future équipe, je fus étonnée de voir l’absence de réaction que cela déclenchait chez Claire. Cette dernière se leva lentement et vint se poster juste devant moi, me forçant à reculer légèrement contre la table car je n'étais définitivement pas tactile pour trois sous. Peut-être s'y attendait-elle, à me voir décliner une nouvelle fois ? Mais dans ce cas, pourquoi avoir tout de même pris l'initiative de venir jusqu'ici ? N'était-ce pas une perte de temps ?
Elle me l'avoua finalement. Mais elle me confia également que si effectivement, elle s'était préparée à cette réponse, c'était une toute autre raison qui l'avait poussé à me trouver. Et celle-ci acheva de me désarçonner tout à fait. Ne pouvant m'en empêcher, je haussais les sourcils, surprise devant ces aveux. Sans doute était-ce la seule personne qui eut un jour souhaiter me revoir par pure amitié. Et d'une certaine façon, je comprenais que c'était un moyen pour elle de me faire ses adieux. Interdite, je la fixais quelques instants, sans rien dire car aucun mot ne semblait pouvoir refléter cet étrange sensation qui me traversait alors. Je n'avais pas soupçonné une seule seconde qu'une telle situation pouvait se manifester, surtout venant de mon ancienne supérieure hiérarchique. Certes, nous nous étions toujours bien entendues. Ce que l'on pouvait considérer comme un exploit compte-tenu de mon tempérament plutôt rude que l'on me reprochait souvent. Mais j'étais loin de m'imaginer qu'un jour, elle ferait le voyage depuis Los Angeles, juste pour cette raison.  

Elle déclara ensuite, toujours ainsi plantée devant moi, qu'elle comprenait mon choix et qu'elle ne désirait pas me forcer à quoique ce soit si ce n'était pas une décision délibérée. En tant qu'amie, elle se devait de me souhaiter le meilleur, même si celui-ci n'était pas de nous retrouver ensemble sur la réserve. La situation était embarrassante et occasionnait chez moi, une certaine gène. Inconsciemment, je m'étais mise à serrer ma tasse entre mes mains pour éviter que celles-ci ne tremblent et j'étais bien heureuse de pouvoir ainsi les maintenir occupées. Je cillais, détournais les yeux avant de déclarer lentement : ❝ Et bien je...je dois dire que je ne n'étais pas préparée pour des adieux.❞ Je sentais la chaleur tenues fermement entre mes mains et pourtant, rien n'aurait pu me refroidir davantage que ces mots. Des adieux. Encore. Pourquoi cela devait-il se répéter une fois de plus ? N'avais-je déjà pas eu mon compte ? Que je choisisse de tout quitter ou de rester...finalement le prix à payer était toujours le même. D'abord Peter, puis Mary et maintenant voilà que je doive recommencer. Néanmoins, je n'avais pas vu Claire depuis plusieurs années, cela rendait les choses moins dramatiques. Il n'y avait pas eu d'au-revoir et pourtant, nous avions cessé de nous côtoyer un moment sans avoir besoin de le formuler comme aujourd'hui. Pourquoi donc ce brusque revirement ? Avait-elle agit de même avec ses en voyageant vers Isla Nublar, à l'époque ?

Un soupir s'échoua dans ma poitrine.
Elle avait parlé au conditionnel, comme si l'hypothèse de mon retour pouvait toujours être envisagé. Elle était comme ça Claire, elle ne renonçait jamais. Même lorsque tout semblait définitivement acté. Car c'était le cas, du moins pour ma part : Isla Sorna se passerait de moi. Et comme elle venait si justement de me le dire, elle ne pouvait -de toutes les façons- pas me forcer. D'ailleurs, personne n'avait jamais osé ou pu le faire. Il aurait été regrettable que cela commence maintenant.
❝ Je suis soulagée que nous nous comprenions.❞ fis-je en pensant clore totalement le débat. Mon intonation était redevenue coutumière et je la gratifiais d'un petit signe de tête entendu.

Puis elle désigna mon café, en acceptant ma précédente proposition de lui en servir. ❝ Bien-sûr...❞ soufflais-je en profitant de cette occasion rêvée pour m'écarter afin qu'elle cesse de me détailler comme elle était en train de le faire. D'un geste presque naturel, je refermais l'écran de mon pc pour maintenir son contenu hors de la vue inquisitrice de Dearing. Je n'aimais pas vraiment m'épancher sur mon sort, ni même sur ma vie et mon invitée le savait pertinemment. Comme d'ordinaire, je me contenterai d'écouter ce qui était une activité plus à mon goût. Je fis le tour de la table et attrapa une autre tasse similaire à la mienne dans l'étagère près de la cuisine. J'y versais le café encore chaud qui était déjà passé avant son arrivée. Je gardais le silence, me préparant à ce qui allait suivre tout en sentant son regard sur ma nuque. Je connaissais Claire, avec elle le temps n'était jamais perdu et je me doutais bien qu'elle l'utilisait toujours à bon escient. Je glissais une fine petite cuillère d'argent qui tinta contre le rebord de sa tasse avant de la lui tendre, nous invitant à reprendre place dans le salon. C'était bien connu, boire son café debout portait malheur et ni l'une ni l'autre, avions besoin de ça.
M'asseyant, je resserrais mon pull trop grand pour moi et croisais les jambes sous mon pantalon noir avant de la regarder sans songer à boire : ❝ Sans doute s'est-il passé beaucoup de choses en deux ans...❞ fis-je pour l'encourager à commencer. Ma tactique étant de la questionner la première, afin qu'elle renonce à le faire elle-même.

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Toutes deux désormais installées, je l'observais avec intensité. Deux années s'étaient écoulées depuis la dernière fois où nous nous sommes vues et pourtant, Claire Dearing ne semblait avoir changé en rien. Elle semblait s'être correctement remise de l'affront qui lui avait été fait et des conséquences qui en avaient résulté. Car être remerciée était une chose, mais être remerciée alors que vous êtes vous-même l'un des fondateurs du projet en était une autre et je l'admirais de le prendre avec autant d'aisance. Qu'aurais-je fait si les rôles avaient été inversés ? Hum, sans doute rien de très loyal ou avouable, l'échec de Jurassic World aurait été plus qu'envisagé. C'était quelqu'un de bien, Claire Dearing.
Alors je commençais à la questionner, pour m'épargner le fait de devoir moi-même répondre à un interrogatoire. Et je haussais un sourcil lorsqu'elle affirma que le temps lui avait échappé, ce qui à ses yeux, semblait être une bonne nouvelle. Au moins, cela lui convenait, c'était le principal. Je dois dire que de mon côté, cette année écoulée n'avait pas eu cette même célérité, ah ça non. Le temps semblait même considérablement ralenti depuis mon retour. Je m'abstins néanmoins de tout commentaire et l'écoutais poursuivre ses explications en buvant une gorgée. Il était tiède, presque froid et je me souvins que je me l'étais versé juste avant de recevoir mon invitée et compte-tenu de ceci, n'étais guère étonnant. Cette dernière me parla alors de la vie qu'elle menait avec Owen Grady, que j'avais aussi eu l'occasion de rencontrer sur le parc. C'était le responsable des animaliers à l'époque et je ne doutais pas qu'il tiendrait à nouveau ce poste car il était qualifié et très compétent avec les pensionnaires qu'ils s'apprêtaient à accueillir. Une petit maison, loin de la ville : voilà qui effectivement, ressemblait bien à l'image que je gardais du dresseur de raptors.

Elle tenta une remarque amusante sur le fait de laisser Owen à ses raptors afin de servir de repas aux bêtes, et se mit à rire. Je continuais de la regarder, impassible sans songer un seul instant à partager sa plaisanterie. Le très net souvenir de mon ami et ancien collègue se faisant déchiqueter et engloutir par l'une de ses bestioles me revenait, avec d'autant de précisions que je m'étais trouvée à quelques mètres de lui lorsque cet incident était advenu. ❝ Je vois.❞ fis-je simplement, avec dureté, lorsqu'elle eut finit de se réjouir. Sans doute l'avait-elle facilement oublié mais ce n'était pas mon cas, et j'avais d'ailleurs souvent eu l'occasion d'y repenser dans les mois qui avaient suivi car c'est à son poste que l'on me nomma et son bureau que l'on m'assigna. Un soldat était tombé, il fallait que la place ne reste pas vacante...

Heureusement, elle continua sur ses récentes actions et je sentis un pâle malaise lorsqu'elle effleura le sujet des recrutements, habilement accolé aux questions des fonds et du référencement de son association. Je hochais la tête avant de commenter brièvement : ❝ Il semblerait que tout ceci soit une réussite pour vous...❞ Et de surcroît, que ça ait bien fonctionné, la preuve étant que les dons s'étaient révélés efficaces et importants, au point de pouvoir racheter Isla Sorna à la Masrani Corp. Un beau tour de force que je n'aurai pas cru possible tant la poigne de cette entreprise était acérée. Était-ce parce qu'elle était en train de faiblir ? Finalement, le manque de résultats n'était peut-être pas la faute de Claire ou des employés mais bel et bien des têtes pensantes qui géraient maintenant Jurassic World. Délicate once de satisfaction contre ceux qui m'avaient tout pris.

La conversation prit ensuite une tournure que j'aurai préféré éviter car de manière totalement prévisible, Claire l'orienta de telle sorte à me faire parler de moi. J'eus une légère grimace que je m'empressais de cacher derrière ma tasse en faisant mine de boire une nouvelle gorgée. Était-ce vraiment nécessaire ? J'étais bien plus à mon aise à simplement l'écouter. Pourtant, je ne voyais aucune issue et je me entais prise au piège, obligée de répondre. Mon regard évita le sien et se posa quelque part au-dessus d'elle, sur le cadre qui ornait le mur en briques. ❝ Rien de bien original en comparaison : j'ai trouvé un autre travail à mon retour.❞ fis-je avec lenteur. Je sentais qu'elle attentait autre chose, qu'elle était restée sur sa faim et pourtant, je ne lui donnais aucun autre détail et refermais la bouche. En disant cela, j'avais espéré qu'elle renonce à ses projets de recrutement et qu'elle comprendrait ainsi que je n'étais plus disponible. Quelques secondes passèrent. Peut-être que si je lui disais que c'était un très bon travail, le meilleur du monde, épanouissant et gratifiant...oui, peut-être qu'elle se rendrait compte qu'il ne lui restait aucune chance ? Je fixais maintenant le fond de ma tasse d'un air absent en songeant à l'année écoulée qui, il faut le dire n'est pas à retenir dans les anales. J'avais mis du temps à me remettre et à me reconstruire et il restait encore quelques moments où je me se sentais démunie face à certaines situations. Mais ceci restait du domaine personnel et je ne souhaitais pas le partager avec quiconque. ❝ Et pour ce qui est de la réhabilitation d'Isla Sorna, tout se passe comme vous l'aviez prévu, Claire ?❞ demandais-je dans une ultime tentative pour fuir et changer de sujet afin qu'elle ne s’intéresse plus à moi de trop près. Elle semblait tellement enjouée de l'avancée de son entreprise que cela avait des chances de fonctionner. Et quand-bien même, il y avait des sujets dont je n'étais pas certaine de pouvoir parler en toute sérénité. Je l'avais d'ailleurs vu poser brièvement le regard sur la pile de cartons près de la baie vitrée et je ne l'avais pas relevé pour cette raison...

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Ma réponse, somme toute assez brève sembla lui convenir et lui suffire puisqu’elle n'insista pas. A mon plus grand soulagement d'ailleurs. Il est vrai que j'avais retrouvé un emploi, certes pas aussi épanouissant que je l'aurai souhaité, mais qui pour autant m'assurait stabilité et sécurité. Ici, plus de créatures, plus d'armes à feu et plus de sursis au quotidien. Un revirement plus fade mais qui tout doucement, m'a permis de reprendre mes marques et de commencer à me reconstruire. Je bus une gorgée distraitement. Bien-sûr, après tout ce qui s'était passé sur l'île, les choses ne seraient plus jamais les mêmes. Je ne serai plus jamais la même. Si les fissures apparentes n'étaient plus, les entailles plus profondes elles, ne se refermaient pas et je n'étais de toute façon pas en mesure de dire si elle guériront un jour. Aussi, je les gardais au plus profond de moi, sans aucune chance qu'elles ne soient atteintes.
L'air de rien, j'avais de nouveau axé la conversation sur les préparatifs de la future réserve. Un subterfuge qui fonctionna car Claire s'engouffra dedans avec plaisir pour entamer ses explications. Ses paroles ne me surprirent guère, il était évident que les travaux s'annonçaient conséquents et qu'il ne s'agissait pas d'une mince affaire. Je me contentais donc de hocher la tête lorsqu'elle mentionna l'excellent cabinet d'architectes auquel elle avait eu recours pour assumer cette lourde tâche. La situation semblait être sous contrôle et orchestrée avec rigueur.

Soucieuse de continuer à la faire parler, je m'apprêtais à la questionner davantage en détails sur les travaux mais elle s'en chargea naturellement, m’épargnant ainsi cette peine. La construction était entamée et certaines installations étaient même, déjà abouties. Les choses n'avaient pas traîné, compte-tenu du fait que les agents allaient bientôt se préparer à se rendre sur l'île. Un pâle sourire se dessina sur mon visage lorsque vint l'anecdote sur ses dossiers. Il est certain qu'en ce qui concernait le rangement, Claire Dearing ne pouvait espérer trouver meilleure oreille que la mienne. Intolérante au désordre et à tout ce qui pouvait s'en rapprocher, sans doute n'aurais-je pas été à mon aise de vivre dans ce chantier de documents comme elle. Même si ceci n'était que temporaire. C'était un trait de caractère assez marqué chez moi et qui suscitait généralement l'incompréhension.
❝ Une période de transition comme celle-là n'est jamais simple, même si ce n'est que provisoire. Fort heureusement, vous êtes bien entourée et ce n'est donc plus qu'une question de patience car vous semblez avoir tous les éléments nécessaires à la bonne marche de votre projet. Je n'ai aucun doute là-dessus.❞ fis-je, rassurante. Evidemment, ce n'était pas Owen qui allait l'aider à ordonner et optimiser quoique ce soit car tel que je le connaissais, il n'avait jamais été de ceux qui aiment à ce que tout soit bien agencé. A l'époque, je devais toujours passer derrière lui lorsqu'il s'agissait du protocole de ses rapports et je doutais fort que son tempérament ait changé avec le temps. Mais sur bien d'autres rapports il était, je le savais, d'une grande aide et sans lui, nul doute que Claire n'aurait pas poursuivi son affaire sur Isla Sorna.
J'avais un peu tiqué sur le fait que seulement une seule structure était actuellement debout et terminée. N'avait-elle pas dit, lorsqu'elle avait essayé de me recruter qu'elle comptait faire venir son personnel dès la fin du mois prochain ? Comment comptait-elle les accueillir ? N'était-ce pas un peu prématuré ? Je resserrais les mains sur ma tasse. Après tout, je n'avais plus à me soucier de tout ceci, puisque je n'étais plus concernée par ce projet. Les futurs employés auront la mauvaise surprise en arrivant, je suppose. Espérons simplement que ce soit la seule, car nous ne pouvions jamais être sûr de rien. En particulier avec la typologie des espèces qui attendaient sur l'île et qui n'apprécieront peut-être pas d'être ainsi perturbés...❝ A quand projetez-vous l’ouverture de la réserve déjà ?❞ demandais-je malgré moi. Chassez le naturel et il revient au galop pourrait-on dire. Je savais très bien quand le lancement devait se faire, je voulais juste m'assurer qu'elle était pleinement consciente du potentiel retard et des complications que ce chantier pouvait apporter. Se rendait-elle compte de ce que cela pouvait impliquer et quelles en seraient les résultantes ? Je posais sur elle un regard calculateur, mais sans la juger pour autant. Puisque j'avais décidé de ne pas me joindre à elle sur cette entreprise, je n'avais aucun avis à émettre et au final, l'issue de n'importait guère. Qu'il n'y ait qu'une seule vieille bicoque debout sur Sorna n'impacterait en rien mon mode de vie ici, à New-York. Tous les matins, je continuerai de m'asseoir face au pont de Brooklyn qui surplombe l'East River. Tous les matins, je serai en paix, à des milliers de kilomètres de ce lopin de terre préhistorique. J'étais bien loin de ces délais affolants et du décompte que cela engendrait après tout.

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